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Trois jours plus tard, une heure avant l’aube, Reith, Traz et Anacho quittèrent Maust. Une fois franchi le Portique des Clartés, ils s’enfoncèrent dans l’Avant-Pays en direction des Collines du Souvenir, masse noire qui se détachait quinze kilomètres plus au sud sur le ciel moucheté de bistre et de violet. Devant et derrière eux, on pouvait apercevoir une douzaine de silhouettes qui couraient, pliées en deux, dans la froide pénombre. Les unes ployaient sous le poids de leur équipement – outils de fouille, étalonneurs, armes, pommades désodorisantes, fard noir pour le visage, matériel de camouflage ; les autres n’emportaient qu’un sac, un couteau et un paquet de rations.

4269 de La Carène émergea de la grisaille. Un certain nombre de prospecteurs se dissimulèrent dans les broussailles ou sous une toile léopard pour attendre la nuit, mais d’autres, pressés d’atteindre le Lit de Galets, continuèrent au risque de se faire intercepter. Stimulé par les indices tangibles de ce risque – tas de cendres mêlées d’ossements carbonisés, débris de cuir – le trio accéléra l’allure et parvint sans fâcheux incidents à la terre d’asile que constituait le Lit de Galets, dédaigné par les chasseurs dirdir.

Ils posèrent leurs sacs à terre et s’allongèrent pour se reposer. Presque aussitôt deux solides gaillards surgirent, teint basané, longs cheveux noirs et hirsutes, la barbe frisée. Reith était incapable de deviner leur race. Ils étaient vêtus de haillons et empestaient abominablement. Ils examinèrent les trois compagnons avec une féroce assurance et l’un d’eux dit d’une voix rauque :

— Ce secteur est sous notre contrôle. Si vous voulez vous reposer, ça vous coûtera cinq sequins par tête. Si vous refusez de payer, on vous refoulera en terrain découvert. Mais attention ! les Dirdir rôdent sur la crête nord.

Anacho bondit instantanément sur ses pieds et assena un violent coup de pelle sur le crâne de l’individu. L’acolyte fit un moulinet avec son gourdin ; le fer de la pelle s’abattit sur ses poignets et il s’en fallut de peu qu’il ne les tranchât. Le gourdin tomba à terre et l’homme recula en vacillant. Ses mains, qu’il contemplait d’un air horrifié, étaient flasques comme des gants vides.

— Allez donc vous-mêmes affronter les Dirdir ! jeta Anacho en avançant, la pelle levée. (Les deux agresseurs s’éloignèrent parmi les éboulis.) Il vaut mieux ne pas rester là, dit l’Homme-Dirdir quand ils eurent disparu.

Ils chargèrent de nouveau les sacs et repartirent. À peine s’étaient-ils mis en marche qu’un énorme bloc de rocher s’écrasa sur le sol. Traz sauta en haut d’un bloc erratique, pointa sa catapulte et tira. Un gémissement de douleur s’éleva au loin.

Le trio repartit. Il parcourut une centaine de mètres et s’arrêta en haut d’une pente dominant le Lit de Galets d’où la vue s’étendait sur l’Avant-Pays et où il était facile de protéger ses arrières. Reith sortit son sondoscope et étudia le paysage. Il discerna une demi-douzaine de prospecteurs se déplaçant d’une allure furtive et un groupe de Dirdir plantés sur un éperon qui se dressait à l’est. Ils étaient immobiles. Dix minutes plus tard, ils disparurent soudainement. Quelques instants s’écoulèrent avant que Reith ne les repérât de nouveau, bondissant à grandes foulées dans les combes de l’Avant-Pays.

Au cours de l’après-midi, comme il n’y avait pas de chasseurs en vue, les prospecteurs commencèrent à s’aventurer hors du Lit de Galets. Reith, Traz et Anacho gagnèrent les crêtes aussi directement que la prudence le permettait. À présent, ils étaient seuls. Il n’y avait pas le moindre bruit.

Comme il ne fallait pas se découvrir, leur progression était lente. À la tombée de la nuit, ils étaient encore en train de peiner au fond d’un ravin d’où ils émergèrent juste à temps pour voir s’effacer l’ultime croissant d’argent bruni de 4269 de La Carène. Au sud, une succession de vallonnements coupés de cuvettes se déployaient jusqu’à la Terrasse. Ce territoire était riche en sequins mais il était aussi extrêmement dangereux en raison de la proximité de Khusz, distante d’une quinzaine de kilomètres.

Avec le crépuscule, les Carabas prirent un aspect étrange. C’était comme si le paysage était baigné de nostalgie mêlée d’horreur. Partout s’allumaient des feux à la signification macabre. Que des hommes, quelle que fût l’attirance de l’appât qu’ils convoitaient pussent s’enfoncer dans une pareille contrée stupéfiait Reith. Un nouveau brasier se mit soudain à briller à cinq cents mètres à peine, et tous trois se recroquevillèrent vivement dans l’ombre. On distinguait à l’œil nu les silhouettes pâles des Dirdir, et le Terrien les contempla, l’œil rivé au sondoscope. Les chasseurs allaient et venaient à grands pas et leurs nimbes lumineux ondulaient derrière eux comme de longues antennes phosphorescentes. Ils semblaient émettre des sons, mais ceux-ci étaient trop faibles pour être perçus.

— Ils reviennent à leur « Ancien État » mental, souffla Anacho. Ils sont véritablement les fauves qu’ils étaient sur Sibol il y a un million d’années.

— Pourquoi ne cessent-ils pas de marcher de long en large ?

— C’est leur coutume. Ils se préparent à la frénésie du festin.

Reith examina les abords du foyer. Deux formes humaines, agitées de soubresauts, gisaient sur le sol parmi les ombres.

— Ils sont vivants ! murmura-t-il avec épouvante.

— Les Dirdir n’aiment pas s’encombrer de fardeaux, grommela Anacho. Ils obligent leurs proies à courir, à sauter et à bondir comme eux – tout le jour s’il le faut. Si un captif faiblit, ils le stimulent à l’aide de leurs fouette-nerfs et il repart avec une agilité accrue.

Reith reposa son sondoscope.

— Tu les vois maintenant dans leur « Ancien État » qui fait d’eux des bêtes sauvages, reprit Anacho sur un ton volontairement neutre. C’est là leur nature première. Ils sont superbes. Dans d’autres circonstances, leur beauté se manifeste différemment. Les hommes ne peuvent les juger : ils peuvent seulement reculer avec effroi.

— Et les Hommes-Dirdir d’élite ?

— Les Immaculés ? Que veux-tu dire ?

— Imitent-ils les Dirdir à la chasse ?

Le regard d’Anacho fouilla les ténèbres qui enveloppaient la Zone. À l’est, une lueur rose annonçait le lever de la lune Az.

— Les Immaculés chassent. Ils ne peuvent évidemment pas égaler l’ardeur des Dirdir et n’ont pas le privilège de chasser dans la Zone. (Il tourna les yeux vers le foyer tout proche.) Au matin, le vent leur apportera notre odeur. Il vaudrait mieux nous éloigner à la faveur de la nuit.

Az, basse dans le ciel, parait le paysage d’un chatoiement rose et Reith pensait invinciblement à du sang délayé dans l’eau. Ils avancèrent vers le sud-est, se frayant péniblement un chemin à travers les rochers qui étaient l’ossature de l’antique Tschaï. Le feu des Dirdir s’éloigna et finit par disparaître derrière un escarpement. Le Terrien et ses amis descendirent vers la Terrasse. Ils firent halte et dormirent quelques heures d’un sommeil léger, puis repartirent à travers les Collines du Souvenir. À l’ouest, Az approchait de l’horizon et Braz se levait à l’est. Chaque objet avait deux ombres, une rose et une bleue.

Traz, attentif, l’oreille tendue, levant les pieds avec précaution, ouvrait la marche. Deux heures avant l’aube, il se figea subitement et fit signe à ses compagnons de ne pas bouger.

— De la fumée morte, souffla-t-il. Il y a un camp devant… quelque chose remue.

Ils écoutèrent. Mais le silence était total. L’allure furtive, Traz obliqua et changea sa route. Ils escaladèrent une crête, descendirent par un autre versant tapissé d’arbres aux frondaisons duveteuses. De nouveau, ils firent halte, tous les sens aux aguets. Traz leur ordonna soudain d’un signe de se tapir dans l’ombre et, du fond de cet asile, ils aperçurent en haut d’un piton deux formes pâles. Dix minutes durant, celles-ci restèrent là, muettes et vigilantes. Elles finirent par disparaître brusquement.

— Savaient-ils que nous étions si proches ? demanda Reith dans un souffle.

Traz répondit :

— Je ne pense pas. Mais ils ont peut-être quand même senti notre odeur.

Une demi-heure plus tard, ils se remirent prudemment en marche, s’efforçant de rester dans l’ombre. Le ciel pâlit à l’est. Az s’était couchée et Braz bascula à son tour. Le trio, qui se hâtait dans la fausse aurore couleur prune, s’arrêta finalement à l’abri d’un épais taillis de torquils et, quand le soleil se leva, Traz découvrit au milieu d’un tapis de branches mortes et de feuilles noires et recroquevillées un bulbe gros comme deux poings. Il le détacha de sa tige cassante. Quand il l’eut fendu, des centaines de sequins ponctués d’étincelles écarlates s’échappèrent de l’enveloppe.

— Admirable ! s’exclama Anacho à voix basse. Il y a là de quoi exciter l’avidité ! Encore quelques-uns comme cela et nous pourrons renoncer aux projets délirants d’Adam Reith.

Ils fouillèrent tout le taillis mais ne firent pas de nouvelles trouvailles.

Quand il fit tout à fait jour, la savane de la Terrasse méridionale se révéla à leurs yeux, se déployant à l’est et à l’ouest pour se perdre au loin dans une sorte de brume. Reith examina sa carte, comparant la montagne à laquelle ils tournaient le dos aux indications de relief du document. Il posa son doigt sur un point.

— C’est ici que nous sommes. Les Dirdir qui regagnent Khusz passent par là-bas, à l’ouest de la Forêt de la Frontière, qui est notre destination.

— Et peut-être aussi notre rendez-vous avec notre destin, maugréa Anacho, toujours pessimiste.

— J’aime autant mourir en tuant des Dirdir, à tant faire, dit Traz.

— On ne meurt pas en les tuant, corrigea l’autre, pointilleux. Ils ne le permettent pas. Ils aiguillonneraient avec leurs fouette-nerfs celui qui tenterait le coup.

— Nous ferons de notre mieux, dit Reith.

Et, s’emparant de son sondoscope, il scruta l’étendue. Il repéra sur les hauteurs trois groupes de chasseurs dirdir qui surveillaient les pentes en quête de gibier et se dit que le seul fait qu’il y ait parfois des prospecteurs qui revenaient à Maust tenait du miracle !

La journée fut longue. Traz et Anacho cherchèrent vainement d’autres bulbes dans les broussailles. Au cours de l’après-midi, une chasse passa à moins d’un kilomètre de leur retraite. D’abord apparut un homme qui bondissait comme un daim. Son jeu de jambes était puissant. Trois Dirdir étaient à ses trousses. Ils couraient sans efforts cinquante mètres derrière lui. En désespoir de cause, le fuyard s’arrêta, le dos à un rocher, et se prépara à vendre chèrement sa vie, mais ses poursuivants l’accablèrent sous le nombre et eurent raison de lui. Quand ils l’eurent renversée, ils s’accroupirent sur leur proie, se livrèrent à quelques manipulations et se redressèrent. L’homme à terre se contorsionnait frénétiquement.

— Le fouette-nerfs, expliqua Anacho. Il a dû les indisposer d’une façon ou d’une autre. Peut-être parce qu’il avait une arme à énergie.

Les Dirdir se remirent en marche. Leur victime se releva en se trémoussant de façon grotesque et, chancelant sur ses jambes, fit mine de vouloir se diriger vers les collines. Les chasseurs se retournèrent pour l’observer. Le malheureux s’immobilisa, poussa un hurlement d’agonie et, pivotant sur lui-même, emboîta le pas à ses ravisseurs, qui s’élancèrent au pas de course, bondissant avec une sauvage exubérance. L’homme courait derrière eux avec une résignation démente. Le groupe disparut en direction du nord.

— Tu es toujours décidé à exécuter ton plan ? demanda Anacho à Reith.

Le Terrien eut subitement une envie folle d’être loin, le plus loin possible des Carabas.

— Je comprends pourquoi cette tactique n’a encore jamais été employée.

Un soir triste et doux succéda à l’après-midi. Dès que les feux commencèrent à scintiller à flanc de coteau, le trio sortit de son asile et se mit en route. À minuit, il atteignit la Forêt de la Frontière. Traz, redoutant une espèce de demi-reptile appelé smur, rechignait à l’idée de s’enfoncer dans le sous-bois. Reith ne discuta pas, et ils restèrent à la lisière de la forêt jusqu’à l’aube.

Lorsque le jour se leva enfin, ils explorèrent prudemment les lieux sans rien trouver de plus dangereux que des lézards à barbillons. Au delà de la Forêt, du côté de l’ouest, Khusz était clairement visible. La base des chasseurs n’était qu’à quelque cinq kilomètres au sud. Les Dirdir qui entraient dans la Zone ou en sortaient contournaient les bois.

Après avoir soigneusement étudié toutes les possibilités qu’offrait le terrain, Reith et ses deux compagnons se mirent au travail dans l’après-midi. Traz creusait tandis qu’Anacho et le Terrien se mettaient en devoir de confectionner un grand filet rectangulaire à l’aide de branchages et des cordes qu’ils transportaient dans leurs sacs. Le lendemain soir, tout était prêt. Reith, vérifiant le dispositif, passait par des alternatives d’espoir et de désespoir. La réaction des Dirdir serait-elle conforme à ses vœux ? Anacho paraissait le penser, encore qu’il parlât beaucoup du fouette-nerfs et faisait montre d’un noir pessimisme.

Le milieu de la matinée et le début de l’après-midi, quand les chasseurs regagnaient Khusz, étaient théoriquement les périodes les plus favorables. Plus tôt ou plus tard, ils avaient tendance à partir en battue, et il fallait éviter d’attirer l’attention des groupes qui allaient à la recherche du gibier.

La nuit s’écoula et le soleil se leva à l’aube d’une journée qui, d’une manière ou d’une autre, allait être décisive. Au début, la pluie menaçait, mais, dans le courant de la matinée, les nuages dérivèrent vers le sud, découvrant brusquement le ciel. 4269 de La Carène conférait à l’atmosphère une luminosité rouillée.

À l’affût à la lisière de la forêt, Reith surveillait l’étendue au sondoscope. Au nord apparut une troupe de quatre Dirdir, qui trottaient avec aisance sur la piste menant à Khusz.

— Les voilà ! Ça va être le moment.

Les Dirdir avançaient à grands bonds en poussant de temps à autre des sifflements joviaux. La chasse avait été bonne et ils s’étaient bien divertis. Mais qu’est-ce que c’était ? Une proie humaine au sortir de la forêt ! Qu’est-ce que cette bête stupide faisait là, si près de Khusz ? Et les Dirdir de se ruer joyeusement sur ce gibier.

La proie humaine chercha son salut dans la fuite comme le faisaient toutes ces créatures. Très vite, elle chancela et, aux abois, s’immobilisa, adossée à un arbre. Les Dirdir, hurlant leur terrifiant cri de mort, se précipitèrent. Le sol céda sous le poids de celui qui était en tête. Il disparut à la vue de ses trois congénères qui, médusés, se pétrifièrent. Il y eut un bruit – un craquement, une commotion. Et un enchevêtrement de branches entrelacées s’abattit sur eux, les emprisonnant. Alors apparurent des hommes odieusement triomphants ! C’était une ruse ! Un stratagème ! Avec une fureur qui leur tordait les entrailles, les Dirdir se débattaient en vain pour échapper au traquenard, s’efforçaient désespérément de se libérer, animés du désir farouche de se jeter sur ces hommes maudits, ivres de haine et d’horreur…

Les Dirdir périrent sous les coups de couteau, les coups de hache, les coups de pelle. Leurs vainqueurs remontèrent le filet, les cadavres furent dépouillés de leurs sequins avant d’être halés plus loin ; la fosse fut remise en état.

Un deuxième groupe fut signalé, venant du nord. Il ne se composait que de trois chasseurs, mais ceux-ci portaient des casques resplendissants et leurs nimbes étaient semblables à des fils métalliques incandescents.

— Ce sont des Excellences aux Cent Trophées, dit Anacho avec une terreur respectueuse.

— Tant mieux, répliqua Reith en faisant signe à Traz. Rabats-les par ici. On va leur apprendre ce qu’est l’excellence !

Traz utilisa la même stratégie : il se montra, puis s’enfuit ventre à terre, comme pris de panique. Les Excellences le poursuivirent sans ardeur excessive : la partie de chasse avait été fructueuse. Le sentier qui s’enfonçait à travers les dendrites avait déjà été foulé, peut-être par d’autres chasseurs. Chose curieuse, la proie ne faisait pas preuve de cette agilité frénétique qui donnait du piment aux battues. En fait, elle s’était arrêtée et leur faisait face, adossée à un énorme torquil au tronc noueux. C’était inouï ! L’humain brandissait une lame ! Les défiait-il, eux… des Excellences ? En avant ! Sus à la proie ! Qu’on la jette à terre et qu’on la déchire ! Et que le trophée aille à celui qui, le premier, l’aura touchée ! Mais stupeur ! Le sol qui s’effondre, la forêt qui bascule ! Délire et confusion ! Et qu’est-ce à dire ? Des sous-hommes qui accourent, armés de couteaux, prêts à frapper, à taillader… Raz de marée de fureur, gesticulations frénétiques, sifflements et clameurs – et les lames qui s’abattent.

Il y eut quatre massacres de Dirdir ce jour-là, quatre le lendemain, cinq le jour suivant. À présent, c’était devenu une routine efficace. Le matin et le soir, on enterrait les corps, puis on réparait le piège. Le trio travaillait avec aussi peu de passion que s’il s’était agi d’aller à la pêche – sauf quand Reith se rappelait les chasses dont il avait été témoin. Alors toute sa virulence revenait à la charge.

Lorsque l’on décida de mettre fin à l’opération, ce ne fut ni parce que le profit diminuait – chaque unité de chasse rapportait quelque vingt mille sequins – ni parce que l’enthousiasme baissait. Mais après que le trio eut éliminé les « clairs », les « laits » et les « sardoines », ce qui restait du butin faisait un fardeau presque intransportable. Le pessimisme d’Anacho se mua alors en appréhension.

— Tôt ou tard, on s’apercevra de la disparition des chasseurs. Du coup, les autres se mettront à leur recherche. Comment ferons-nous pour nous échapper ?

— Encore une dernière fois, répliqua Traz. Voici un nouveau groupe qui rentre, chargé des dépouilles de ses victimes.

— Mais pourquoi ? Nous avons tous les sequins que nous sommes capables de porter !

— Il n’y aura qu’à abandonner les « sardoines » et les quelques « émeraudes » pour ne garder que les rouges et les pourpres.

Anacho se tourna vers Reith, qui eut un haussement d’épaules.

— Oui… encore cette bande-là.

Traz sortit de la forêt et exécuta son numéro de panique, maintenant rodé à la perfection. Mais les Dirdir ne réagirent pas. Ne l’avaient-ils pas vu ? Ils continuaient d’avancer sans changer d’allure. Traz hésita un instant, puis il se montra de nouveau. Les Dirdir le virent. Sans doute l’avaient-ils déjà vu la première fois : en effet, au lieu de se lancer immédiatement à ses trousses, ils poursuivirent leur chemin au petit trot. Reith, qui observait la scène, tapi dans l’ombre, se demandait s’ils avaient des soupçons ou s’ils étaient simplement saturés d’exploits de chasse.

Les Dirdir firent halte pour examiner le sentier qui s’enfonçait dans la forêt et ils entrèrent sans hâte dans le sous-bois. L’un d’eux marchait en tête, suivi par un de ses compagnons, et les deux derniers avançaient en serre-files. Reith rejoignit le lieu de l’embuscade.

— Il y a un problème, annonça-t-il à Anacho. Peut-être serons-nous contraints d’engager le combat pour nous dégager.

— Engager le combat ? s’exclama Anacho. Trois hommes contre quatre Dirdir ?

Là-bas, sur la piste, Traz prit la décision d’exciter un peu l’adversaire. Emergeant à découvert, il épaula sa catapulte et une flèche atteignit en pleine poitrine le Dirdir de tête, qui exhala un sifflement de fureur et se rua en avant, le nimbe flamboyant.

Le jeune homme battit en retraite et regagna son poste habituel, le visage fendu d’un sourire de joie irraisonnée. Il agita son poignard. Le Dirdir blessé chargea et disparut dans la fosse. Ses clameurs se transformèrent en une bizarre lamentation vibrante de surprise et de souffrance. Les trois autres s’arrêtèrent net, puis se remirent en marche à pas comptés, sinistres et maléfiques. Reith tira sur la corde commandant le filet, qui s’abattit sur deux d’entre eux tandis que le troisième faisait vivement un bond en arrière.

— Liquidez ceux qui sont pris ! cria le Terrien à Traz et à Anacho tout en jaillissant hors des fourrés pour attaquer le rescapé. (Il ne fallait en aucun cas que celui-ci puisse s’échapper.)

Mais il était bien loin de songer à la fuite : il se jeta sur Reith pour le lacérer de ses ongles. Traz, sa dague à la main, lui sauta dessus, mais le Dirdir se débarrassa de lui d’un coup de reins, lui arracha son arme avec laquelle il lui déchira la jambe comme en se jouant. Anacho se rua en avant. Son épée trancha le bras de la créature avant de la décapiter. Titubant sur leurs jambes, ruisselant de sueur, haletant et proférant des jurons, les trois compagnons liquidèrent alors les trois premiers chasseurs. Ils éprouvaient un intense soulagement à l’idée de s’être aussi bien tirés d’affaire. Le sang jaillissait à grands flots de la jambe de Traz. Reith commença par lui poser un garrot. Cela fait, il ouvrit la trousse de premier secours, désinfecta la plaie, l’enduisit d’une pommade cicatrisante, comprima les lèvres de la blessure, pulvérisa une pellicule d’épiderme synthétique et détacha le garrot. Traz fit une grimace mais pas une plainte ne lui échappa. Le Terrien lui tendit un comprimé.

— Avale cela. Peux-tu tenir debout ?

L’adolescent se leva avec raideur.

— Es-tu capable de marcher ?

— Difficilement.

— Essaye de bouger pour ne pas t’ankyloser.

Reith et Anacho fouillèrent les cadavres. Le butin était énorme : un bulbe pourpre, deux écarlates, un bleu foncé, trois verts pâles et un bleu clair. Reith hocha la tête, à la fois émerveillé et contrarié.

— Quelle richesse ! Mais qui ne servira à quelque chose que si nous arrivons à rallier Maust. (Son regard se posa sur Traz, qui faisait les cent pas en boitant avec un effort visible.) Nous ne pourrons pas tout emporter.

Ils poussèrent les corps dans la fosse et les recouvrirent de broussailles ; ils dissimulèrent le filet dans les fourrés et se mirent à trier les sequins dont ils firent trois piles, deux grosses et une petite. Il restait encore une véritable fortune sous forme de « clairs », de « laits », de « sardoines », de bleus sombres et de verts. Ils firent des sequins ainsi dédaignés un quatrième tas qu’ils cachèrent sous les racines du gros torquil.

Il n’y avait plus que deux heures de jour. Reith et Anacho chargèrent les sacs et se dirigèrent vers l’est pour sortir de la forêt en réglant leur allure sur celle de Traz. Quand ils furent arrivés à la lisière du bois, le problème fut posé de camper sur place jusqu’à ce que la jambe de Traz soit guérie, mais le garçon ne voulut rien savoir :

— Je peux continuer, du moment qu’il n’y a pas à courir.

— N’importe comment, courir ne servirait à rien, dit Reith.

Anacho soupira :

— Sauf s’ils nous capturent. Là, il faudra bien courir. Avec les fouette-nerfs au derrière !

La lumière pâlissait et à ses ors succédaient des bronzes. 4269 de La Carène sombra et une pénombre sépia recouvrit l’étendue. Sur les collines scintillaient d’infimes reflets de flammes. Ils se remirent en marche et le morne voyage commença : il fallait traverser la Terrasse en sautant d’un noir bouquet de dendrites au suivant. Enfin, ils atteignirent les coteaux et, obstinés, en entamèrent l’ascension.

Quand l’aube pointa, ils n’en étaient pas encore à la cime. Déjà les chasseurs et les proies étaient réveillés. Nul refuge en vue. Reith et ses amis descendirent au fond d’un ravin et se tapirent dans une cache faite de broussailles sèches.

Les heures s’égrenèrent. Anacho et Reith s’assoupirent. Traz, couché sur le dos, contemplait le ciel. L’immobilité forcée engourdissait sa jambe. À midi, quatre chasseurs dirdir aux casques resplendissants passèrent par le ravin. Ils s’arrêtèrent un moment, devinant apparemment la proximité du gibier, mais autre chose attira leur attention et ils continuèrent leur route vers le nord.

Le soleil à son déclin illumina le versant est de la ravine, et Anacho poussa soudain une sorte de rire indéchiffrable.

— Regardez !

Il désignait quelque chose du doigt. À cinq mètres de la cache, une crevasse s’ouvrait dans le sol, laissant apparaître la cupule ridée d’un gros bulbe arrivé à maturité.

— Ce sont pour le moins des écarlates. Peut-être des pourpres.

Reith fit tristement un geste de résignation.

— Nous avons bien de la peine à transporter la fortune que nous avons déjà en notre possession. Elle est suffisante.

— Tu sous-estimes la rapacité et la cupidité des gens de Sivishe, grommela l’Homme-Dirdir. La réalisation de ton projet nécessitera deux fortunes ou davantage. (Il entreprit d’extraire le bulbe.) C’est un pourpre. On ne peut pas le laisser là.

— Très bien. Je le porterai.

— Non, ce sera moi, dit Traz. Vous transportez déjà la plus grande partie du fardeau tous les deux.

— Nous répartirons la charge en trois, concéda Reith. Cela ne fera pas une telle différence.

La nuit tomba enfin. Ils reprirent leurs sacs et repartirent. Traz, grimaçant de douleur, sautillait et claudiquait. Ils redescendirent la face nord, et plus ils approchaient du Portique des Clartés, plus la Zone leur paraissait farouche et détestable.

L’aube les trouva au pied des collines. Le Portique était encore à quinze kilomètres. Tandis que ses compagnons se reposaient après s’être glissés dans une faille, Reith examina le terrain au sondoscope. L’Avant-Pays semblait paisible, presque sans vie. Très loin en direction du nord-ouest, une douzaine de prospecteurs convergeaient vers le Portique des Clartés dans l’espoir d’atteindre la terre d’asile avant qu’il ne fasse plein jour. Ils filaient de cette allure affairée que les hommes adoptaient instinctivement dans la Zone comme si cela leur permettait de passer inaperçus. Une troupe de chasseurs immobiles sur un piton relativement proche, vigilants comme des aigles, les regardaient s’éloigner avec regret. Reith renonça à l’espoir de parvenir au Portique avant la nuit, et le trio passa encore une morne journée derrière un rocher, recouvert d’une toile de camouflage.

Dans la matinée, un aéroglisseur passa au-dessus d’eux.

— Ils sont à la recherche des chasseurs qui ne sont pas rentrés, dit Anacho dans un souffle. Il va certainement y avoir un tsau’gsh… Nous courons un grave danger.

Reith suivit le glisseur des yeux et tenta d’évaluer la distance qui les séparait encore du Portique.

— À minuit, nous serons en sécurité.

— Il sera peut-être trop tard si les Dirdir bouclent l’Avant-Pays, ce qui n’a rien d’impossible.

— Nous ne pouvons reprendre la route pour l’instant. Ils ne nous rateraient pas.

— Tu as raison, soupira Anacho à contrecœur.

Vers le milieu de l’après-midi, un second glisseur survola l’Avant-Pays, au-dessus duquel il tourna en rond, et Anacho murmura entre ses dents :

— Nous sommes pris au piège.

Mais, au bout d’une demi-heure, l’appareil piqua vers le sud et disparut derrière les collines.

Reith scruta les environs avec attention.

— Il n’y a plus de chasseurs en vue. Quinze kilomètres, cela fait une marche d’au moins deux heures. On essaye ?

Traz considéra sa jambe d’un œil désenchanté.

— Partez tous les deux. Je vous suivrai après le coucher du soleil.

— Il sera trop tard, dit Anacho. Il est d’ailleurs déjà trop tard.

Une fois encore, Reith examina les crêtes. Il aida Traz à se lever.

— Ce sera tout le monde ou personne !

Et ils s’enfoncèrent dans la lande. Ils avaient l’impression d’être nus et vulnérables. Si, par hasard, un groupe de chasseurs postés sur les hauteurs surveillaient la plaine, ils les repéreraient immanquablement. Une demi-heure durant, ils détalèrent en forçant l’allure, tout comme les autres prospecteurs. De temps en temps, Reith s’arrêtait pour braquer son sondoscope derrière eux, appréhendant de détecter de sinistres silhouettes lancées à leurs trousses. Mais l’étendue demeurait vide et l’espoir commençait à renaître en lui. Le visage de Traz était couleur de cendre ; la douleur et l’épuisement lui tiraient les traits. Néanmoins, il pressait le pas. Il trottinait en titubant et Reith avait le sentiment qu’il avançait dans un état second. Mais le jeune nomade fit brusquement halte et se retourna, fouillant les crêtes du regard.

— Ils nous ont décelés !

Le Terrien eut beau scruter les croupes, leurs versants, les ravins obscurs, il ne vit rien. Traz s’était remis en marche ; il faisait maintenant des zigzags et Anacho, plié en deux, était sur ses talons. Reith les suivit. Après avoir couvert quelques centaines de mètres en direction du nord, il s’immobilisa de nouveau. Cette fois, il distingua un reflet métallique. Etaient-ce les Dirdir ? Il calcula la distance qu’il leur restait à parcourir. Ils étaient à peu près au milieu de la lande. Il gonfla ses poumons et s’élança pour rattraper ses compagnons. Peut-être les Dirdir renonceraient-ils à les traquer aussi loin dans l’Avant-Pays.

Mais lorsque, un peu plus loin, il se retourna encore, il lui fallut se rendre à l’évidence : quatre silhouettes dévalaient les collines. Les intentions des Dirdir ne laissaient plus la moindre place au doute.

Reith rejoignit Traz et Anacho. Le jeune nomade courait ; ses yeux étaient vitreux et ses lèvres retroussées découvraient ses dents. Le Terrien se saisit du plus lourd des ballots que portait Traz, mais cela eut pour seul effet de ralentir imperceptiblement la cadence de ce dernier. Anacho calcula la distance qu’il leur fallait encore franchir, celle qui les séparait de leurs poursuivants, et dit :

— Il nous reste une chance !

Ils couraient. Leur cœur cognait, leurs jambes les brûlaient. Le masque de Traz était celui d’une tête de mort, Anacho se chargea de son dernier sac.

Le Portique des Clartés était maintenant en vue, miraculeux havre de sécurité. Derrière eux, les chasseurs se rapprochaient en faisant des bonds prodigieux.

Le Portique était encore à près d’un kilomètre quand Traz eut une défaillance.

— Onmale ! cria Reith.

Le résultat fut stupéfiant. Le garçon parut soudain s’élargir, grandir. Il s’arrêta net et pivota sur lui-même pour faire face à l’ennemi. Son visage était méconnaissable : c’était celui d’un être plein de sagacité, farouche, dominateur – la personnification de l’emblème. Onmale.

Et Onmale était trop fier pour fuir.

— Cours ! hurla Reith, la panique au ventre. Si nous devons engager le combat, que ce soit à nous d’en prendre l’initiative !

Traz – ou Onmale : les deux ne faisaient qu’un – s’empara d’un des sacs de Reith, d’un de ceux d’Anacho, et se rua en direction du Portique. Le Terrien sacrifia une demi-seconde pour voir où était le premier Dirdir et reprit sa course. Traz filait comme un trait à travers la lande. Anacho, les joues roses, décomposé, le suivait pesamment.

L’adolescent atteignit le Portique. Il se retourna et attendit, sa catapulte dans une main, sa dague dans l’autre. Anacho s’engouffra par la brèche, puis Reith en fit autant. Le Dirdir de tête était à moins de quinze mètres d’eux. Traz recula pour se poster juste en deçà de la frontière, défiant leurs poursuivants. À cette vue, le premier des Dirdir poussa un strident cri de fureur. Il secoua la tête et les fulgurances de son nimbe haut dressé frémirent. Puis, faisant volte-face, il s’éloigna en bondissant pour rejoindre ses congénères déjà en train de battre en retraite en direction des collines.

Anacho, haletant, s’adossa au Portique. Reith resta debout ; sa respiration était sifflante. Le regard de Traz était vacant, ses yeux brouillés. Ses jambes mollirent ; il s’écroula et resta allongé par terre, inerte.

Reith s’approcha de lui d’un pas mal assuré et le retourna. Comme l’adolescent avait l’air de ne plus respirer, il s’installa à califourchon sur lui pour pratiquer le bouche à bouche. Un hoquet déchirant s’échappa de la gorge du jeune nomade dont le souffle ne tarda pas à devenir régulier.

Les solliciteurs, les rabatteurs et les mendiants qui, en général, montaient la garde devant le Portique des Clartés, s’étaient égaillés, épouvantés par l’approche des Dirdir. Le premier à revenir fut un jeune homme revêtu d’une longue robe marron. Maintenant, il manifestait sa sympathie pour les rescapés en se répandant en gracieuses courbettes.

— La conduite de ces Dirdir est proprement un scandale ! se lamentait-il. Ils n’auraient jamais dû venir si près du Portique pour vous pourchasser ! Ils ont presque tué ce pauvre garçon !

— Silence ! gronda Anacho. Tu nous importunes.

L’autre recula. Reith et l’Homme-Dirdir aidèrent Traz à se mettre debout. Il était comme hébété.

Le jeune homme à la robe marron revint à la charge. Son regard aimable était celui de quelqu’un qui en a trop vu pour s’étonner.

— Permettez-moi de vous assister. Je m’appelle Issam le Thang et je représente l’auberge de la Bonne Aventure, repos et tranquillité assurés. Laissez-moi vous aider à porter vos paquets. (Il empoigna le sac de Traz et décocha un coup d’œil surpris à Reith et à Anacho.) Ce sont des sequins ?

L’Homme-Dirdir lui arracha le ballot des mains.

— Décampe ! Nous avons nos projets établis.

— À votre guise, répondit Issam le Thang. Mais l’auberge de la Bonne Aventure est tout à côté. Elle est située un peu en dehors du quartier des jeux et de son vacarme. C’est un établissement confortable et, néanmoins, les tarifs sont loin de ceux, exorbitants, pratiqués à l’Alawan.

— Bien, fit Reith. Conduis-nous à ton auberge.

Anacho grommela quelque chose d’indistinct, à quoi Issam répondit par un délicat geste de reproche.

— Par ici… si vous voulez bien me suivre.

Ils se dirigèrent à pas lourds vers Maust. Traz, handicapé par sa blessure, boitillait.

— Ma mémoire est un vrai fouillis, murmura-t-il. Je me rappelle avoir traversé l’Avant-Pays. Et puis quelqu’un m’a crié quelque chose à l’oreille…

— C’était moi, dit Reith.

— Après, tout devient irréel jusqu’au moment où je me suis retrouvé étendu devant le Portique. (Quelques instants plus tard, il reprit, d’une voix rêveuse :) J’entendais un tumulte de voix. Des centaines et des centaines de visages passaient devant moi. Des visages farouches de guerriers. Il m’est arrivé de voir des choses comme cela en rêve.

Sa voix se perdit et il se tut.

Le Dirdir
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